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paternité

Parmi les modalités en débat dans la réforme du congé paternité, l’obligation est l’aspect le plus clivant. Et pour cause, elle soulève de nombreuses questions relatives à sa constitutionnalité, sa mise en place ainsi que ses conséquences sur l’organisation des familles et sur les mentalités dans la société.

La controverse sur l’obligation, abordée sous des angles différents selon les acteurs, se concentre principalement sur les questions suivantes :

  • L’obligation est-elle la solution pour changer la norme sociale ?

  • L’obligation aurait-elle un effet négatif ou positif sur le taux de recours des pères ?

  • Cette instauration mettrait-elle en cause le droit à l’emploi et le respect de la vie privée ?

L’obligation du congé paternité émanerait, par définition, de l’État. Mais cette instauration divise, au regard de plusieurs questions : la constitutionnalité, l’efficacité et le rôle que les entreprises doivent jouer.

L’obligation du congé paternité : une question constitutionnelle

Cette instauration mettrait-elle en cause des droits et libertés constitutionnels, tels que le droit à l’emploi et le respect de la vie privée ? L’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociale) questionne le caractère constitutionnel de l’obligation, sans toutefois évincer l’intérêt d’une telle mesure. Mais elle souligne qu’une obligation, partielle ou totale sur la durée du congé, serait susceptible de porter atteinte au respect de la vie privée du salarié avec une intrusion de la vie publique dans sa sphère d’intimité. Au contraire, l’économiste Hélène Périvier juge que ce serait une “garantie du respect du droit des travailleurs à prendre le congé de paternité”. C’est la raison pour laquelle Patrice Bonfy, fondateur du Paternel, préfère, comme le collectif PA.F, parler de “congé garanti” plutôt qu’obligatoire, conscient du poids des mots dans le champ politique.

L’obligation est-elle une mesure réaliste dans sa mise en oeuvre ?

L’IGAS interroge la pertinence de l’obligation, la jugeant peu adaptée aux catégories socio-professionnelles qui connaissent justement le taux de recours le plus faible. Des assouplissements et aménagements propres à ces catégories seraient alors efficaces. Patricia Blancard, secrétaire nationale de la CFDT Cadres, ajoute qu’il faut qu'il y ait un accompagnement des branches pour voir comment ”l’obligation peut être mise en place. Hélène Périvier, reconnaît la difficulté de l’appliquer aux indépendants : il faut s’adapter à eux, sans toutefois renoncer à la réforme du congé paternité pour les autres catégories de travailleur.

 

Si l’obligation était instaurée, il faudrait réfléchir à un contrôle et à un système de sanctions. Marlène Schiappa doute qu’il soit possible de sanctionner et de contrôler. L’IGAS reconnaît que “sauf à mettre en place un dispositif exagérément coercitif, l’instauration d’une obligation ne garantit pas son respect intégral ”mais l’interdiction d’emploi et des sanctions pour le salarié, l’agent public et/ou l’employeur peuvent être envisagées”.

La coercition risquerait, par ailleurs, de trouver un écho négatif auprès des citoyens. Marlène Schiappa craint un effet de rejet, similaire à celui qui a eu lieu avec la réforme, davantage coercitive, du congé parental en 2014. Christine Castelain Meunier, chercheuse au CNRS, répond à cela que le congé parental et le congé paternité sont incomparables. Hélène Périvier s’étonne que l’obligation du congé paternité suscite tant d’hésitations en France quand personne ne remet en cause les 5 semaines de congés payés obligatoires : “Je n’ai jamais entendu quelqu’un dire qu’il est inadmissible que l’État force les gens à prendre les 5 semaines de congés payés. Ça n’a jamais frustré les gens, par contre, le congé paternité ça gêne.“ Soulignons enfin la position de l’opinion publique, très difficile à appréhender quantitativement. Le baromètre d’opinion de la DREES de 2017 est sans appel : 30 % des sondés se déclarent favorables à un congé de paternité obligatoire contre 70 % qui s’y opposent. Notons néanmoins que le sondage YouGov, réalisé en février 2018, présente des résultats tout à fait différents : 46 % des sondés se prononcent en faveur d’un congé de paternité obligatoire contre 31 % qui s’y opposent et 23 % qui déclarent n’avoir pas d’opinion. D’un sondage à l’autre, les opposants à l’obligation passent de la majorité à la minorité.

Entre l’incitation et l’obligation : comment collaborer avec les entreprises ?

Les entreprises accepteront-elles l’obligation ?

Patricia Blancard, affirme que les entreprises veulent le moins de règles possible et que “dès qu’il y aura contrainte, elles seront vent debout”. La Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises confirme cette idée : “oui à la souplesse, non à l’obligation”. Patricia Blancard affirme néanmoins la légitimité et la nécessité de l’Etat à intervenir en faveur de l’égalité femmes-hommes :“Il y a des choix qui sont à faire et c'est le gouvernement et le législateur qui les font”. Mais elle rappelle que les difficultés, notamment dans les TPME (Très Petites et Moyennes Entreprises), sont les mêmes en cas de congé maternité ou de congé maladie : cela engendre toujours des problèmes de gestion et de remplacement.

A rebours de l’obligation :  l’incitation

A défaut d’obliger, l’Etat peut alors inciter les entreprises à prendre des mesures améliorant la conciliation, et ce, de diverses manières : en informant davantage les entreprises sur les externalités positives d’une meilleure conciliation vie de famille-vie professionnelle, en saluant les pratiques favorables aux familles, en les incitant fiscalement. Selon  Willem Adema et Olivier Thévenon, chercheurs à l’OCDE (2008), la conciliation vie de famille-vie professionnelle peut être renforcée en France, mais mieux vaut privilégier les négociations collectives à l’intervention législative, susceptible d’alourdir considérablement les coûts de main d’oeuvre. On retrouve cette dynamique dans le Pacte pour l’Egalité 2017, dont l’une des mesures est d“inciter les employeurs à garantir par subrogation le maintien du salaire total”. Pour eux, mieux vaudrait inciter qu’obliger.

Pour en savoir plus sur les acteurs mentionnés : 

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