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Entretien avec Patrice Bonfy 

7 mai 2019

Joyce : Comment est né le Paternel ?

 

Patrice Bonfy : Je suis entrepreneur à la base. J’ai vendu une première entreprise et j'ai eu mon premier fils au même moment. Donc j’étais salarié à la naissance de mon premier enfant. J’ai pris le congé paternité standard, sans me poser de question. Ni mon employeur, ni ma femme, ni moi n’avons évoqué l’idée de prolonger le congé. Je rentrais tous les soirs à 19h. Ça me paraissait tôt. J’étais quand même plutôt présent. Et quand ma femme a repris le travail (elle travaille en finance), elle avait bien senti que si elle voulait avoir une carrière, il faudrait qu’elle démontre immédiatement que ce n’est pas parce qu’elle avait eu un enfant qu’elle devrait partir plus tôt, qu’elle serait moins disponible. Moi j’avais une certaine flexibilité dans mon travail dans la mesure où j’étais responsable de ma structure. On a fait le choix que je m’occuperais du bébé la plupart des soirs. Dès mon premier enfant, je partais la plupart du temps du travail à 18h30 pour récupérer mon fils, le baigner, le nourrir, le coucher. Ce qui me paraissait une tâche difficile… Depuis que j’en ai deux, je m’aperçois que c’était très facile (rires). Je m’étais engagé à rester trois ans dans la boîte qui nous avait rachetés. Je suis parti parce que j’avais envie de lancer de nouveaux projets. Et à ce moment là, mon deuxième fils est né. J’étais en cours de définition du projet suivant avec mon associé. Et ma femme m’a dit “Ce congé maternité là on a qu’à le faire à la campagne, dans la maison de mes grand parents. Ça ce sera plus confortable tu pourras bosser l’après midi, et puis on sera dans un environnement un peu plus sympa que Paris”. C’est vrai qu’avec un petit bébé, ça peut être un peu stressant Paris. J’ai dit “ok super!” mais ce que je n’avais pas prévu, c’est que deux adultes avec un enfant de 2 ans et un enfant de quelques semaine dans une maison à la campagne : la question de travailler ne se pose pas du tout. La question de se nourrir, de dormir un peu de temps en temps, de se laver éventuellement… Déjà c’est compliqué. Donc travailler c’était pas possible. J’ai eu, heureusement, la possibilité de me dire “tant pis je décide de me mettre en congé parental”. Ce n’était pas anticipé. C’est un congé paternité prolongé accidentel. Et là ce qui m’a profondément marqué, c’est que j’ai découvert une expérience à côté de laquelle j’étai largement passé pendant le premier congé maternité de ma femme. Je vivais avec elle, avec eux, et pourtant je n’avais pas perçu la difficulté d’être 24 heures sur 24 avec un nouveau né, la pression psychologique que cela met, l’intensité de l’expérience. C’est difficile à expliquer et c’est un moment de la vie où les deux parents peuvent avoir un peu de mal à communiquer à cause de la fatigue. Parce que même si la mère en congé maternité est encore plus fatiguée, le père a priori ne dort pas très bien non plus. C’est une période un peu stressante. C’est difficile dans cette période d’échanger dans le couple. C’est plus une période de tension que de lune de miel. Pendant ce congé parental, on parlait beaucoup de ce que je découvrais, de ce que je comprenais, peut-être des choses à côté desquelles j’étais passé… Alors elle me dit “Ecris un article là dessus parce que ce que tu me dis, les femmes le savent toutes mais les hommes peuvent avoir du mal à l’entendre”. Donc en rentrant, j’écris un article “5 choses apprises en 2 mois de congé paternité”.

J’y raconte ce que j’ai ressenti. Que 1. c’est pas des vacances, 2. on ne peut pas travailler à distance, parce qu’on est en permanence disponible pour autre chose que le travail. 3. Que ça peut être une phase de vie aliénante, parce qu’on se sent coupé du monde, que les gens ne comprennent pas. Mais en même temps, 4. c’est une période de vie très enrichissante qui apporte plein de choses. Donc même si c’est crevant, aliénant, il y a de vrais bénéfices à vivre cette période de vie. Et je concluais à l’époque, naïvement, sans y avoir réfléchi plus que ça, que deux mois de congé paternité devraient être obligatoires. Parce que j’étais tellement content d’avoir vécu cette expérience, j’avais l’impression que ça avait tellement changé mon rapport au couple, mon rapport à la parentalité, au partage des tâches, que je me disais “Moi j’ai eu ce privilège, et ce coup de chance !” Parce que même si j’en avais les moyens, je ne l’aurais probablement pas fait spontanément. Bref, ça me semblait important de le communiquer. Et cet article, que je publie un vendredi après-midi sur Facebook, fait des milliers de visites dans le week end, des centaines de likes et de commentaires. Plus que les posts d’annonce de la naissance de mes enfants. Et surtout beaucoup de messages d’hommes qui me disaient merci parce que, soit “Ca résonne avec ce que j’ai vécu et on en entend rarement parler”, soit “Ca débloque des envies que j’avais, auxquelles je n’osais pas particulièrement réfléchir parce que je ne savais pas comment creuser cette question”.

Avant ça, je pensais un peu être le père parfait, le 1% des pères vraiment au top, mais j’ai découvert avec les réactions de cet article qu’en réalité j’étais juste pareil qu’un grand nombre d’hommes. Du coup j’ai creusé ! Je me suis aperçu que les statistiques démontrent qu’il y a une réelle transformation de l’implication des pères qui s’explique par plein de façons. Il y a une statistique que je trouve intéressante par rapport au sujet du congé paternité. C’est une étude Facebook menée sur des couples de jeunes parents partout dans le monde. 60% des pères de la génération Y considèrent partager les tâches parentales à égalité. 30% des mères confirment.  Donc il y a un décalage... Mais 30% déjà c’est beaucoup ! Je me suis aperçu qu’il y avait une vraie transformation sociétale. Et que si moi-même je ne l’avais pas ressentie, alors que j’en faisais partie, c’est qu’il y avait un problème sur la manière dont la paternité était racontée, communiquée dans la société, parce que les médias, les institutions, les entreprises, renvoient toujours à l’image de la mère parent principal, et du père, s’il aide c’est bien parce qu’en général il ne sait pas trop faire.

 

J. : Donc pour vous la clef, c’est vraiment de laisser le père seul avec l’enfant ? C’est ce que je vous suggérez avec le congé parental d’accueil séparé de celui de la mère (“Si on laissait les pères 2 mois seuls avec leur bébé ? Tribune pour un congé parental alterné”)

 

P.B : Je pense que c’est une clef efficace. Quand on considère l’allongement du congé paternité, il faut voir le coût collectif versus le bénéfice par rapport aux objectifs qu’on cherche à obtenir avec la réforme. L’avantage de l’alternance, c’est que l’impact psychologique pour le père qui se retrouve en situation de gestion tout seul d’un bébé est beaucoup plus fort. Le coût serait compensé parce que pendant ces deux mois-là, l’enfant n’entre pas dans le système de garde collectif largement subventionné. Et sociétalement, le fait d’avoir des pères qui se baladent seuls avec leurs tout petits bébés dans la rue, ça peut vraiment aider à mettre à jour l’image de la paternité. Je suis convaincu que le but de modifier le congé paternité, ce n’est pas de transformer les usages des gens, c’est de s'adapter à leurs envies. Aujourd’hui, il y a des blocages économiques et psychologiques qui vont à l’encontre des besoins et des envies de la nouvelle génération de parents, et du coup de ceux des enfants. Et le but du congé paternité, ce n’est pas de dire “Moi je veux que la société soit de telle façon”, mais “La société est comme ça maintenant, c’est absurde de continuer sans…”

 

J. : Vous pensez vraiment que ces aspirations sont partagées majoritairement par les pères ?

 

P.B. : C’est difficile de répondre pour tout le monde, mais il y a de nombreux signaux qui nous démontrent que oui. Il n'y a pas que les pères, il y a aussi les mères de la nouvelle génération.

 

Marianne : A quels signaux faites-vous référence ?

 

P.B. : Toutes les études, toutes les questions sur l’évolution du partage des tâches, de la perception de la femme au travail, de l’importance de l’égalité hommes-femmes au travail, tout converge vers ça. Le problème, c’est qu’on se retrouve face à un blocage qui est soit-disant biologique mais qui est centralement lié à une différence de congés payés. L’ajustement du partage des tâches parentales n’est pas une question physiologique, c’est une question de droit du travail.

 

J. : Ce qui explique que le congé parental d’accueil que vous proposez est de la même durée pour le père et pour la mère, et que vous lui donnez le même nom ?

 

P.B. : Ça change aussi parce que le congé “paternité” concerne aussi le père social, la conjointe de la mère, etc. Mais c’est peut être une erreur. Une étude au Québec a montré que le simple fait de qualifier le congé de “pour le père” avait augmenté le nombre de gens qui le prenaient. Ça décomplexe peut-être les pères. Ils se sentent plus légitimes.

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J. : Je vous propose de revenir sur le congé de naissance, d’une durée de 3 jours et obligatoires

 

P.B. : C’est le seul congé obligatoire aujourd’hui. Le collectif PA.F a trouvé une formulation qui me paraît bien, c’est le “congé garanti” plutôt qu’ “obligatoire”. Ca change tout. Les mots ont de l’importance en politique et on est sur un sujet politique. Ce congé est un peu une réminiscence du passé : ‘“il a eu un enfant donc il va à la maternité, il ramène sa femme à la maison, il part faire la fête avec ses amis et il revient au travail”. Ce congé là est déjà trop court : c’est pas possible, c’est médical. On doit éviter que la plupart des femmes se retrouvent seules à la maison avec leur nouveau-né de quelques jours. Quand on ne prévoit que 3 jours obligatoires de présence de l’autre parent, c’est dangereux, c’est mauvais pour la santé de la femme et de l’enfant. Ça ne prend pas en compte les complications potentielles pour la femme et pour le bébé. Aujourd’hui, dans le cas d’une hospitalisation de la femme ou de l'enfant, l’autre parent est juste dans la m***e.

 

J. : Pour vous l’obligation, c’est donc une question de santé pour la mère et pour l’enfant ?

 

P.B : Même quand l’accouchement s’est bien passé, la mère est fatiguée et elle a besoin de soutien à la maison, pendant au moins deux semaines. Et quand ça se passe mal, c’est impossible que pendant l’hospitalisation, il n’y ait pas de soutien. Ce qu’on propose pour ce congé d’accueil, c’est 15 jours garantis pour le deuxième parent ou l’aidant, prolongeables sur avis médical en cas de complication pour la mère ou l’enfant.

 

J. : Pourquoi deux semaines ?

 

P.B. :  C’est un arbitrage. On a “négocié” avec Tristan, avec qui j’ai co-écrit la tribune. On essayait, en ajoutant le minimum de semaines de congés rémunérés d’obtenir le meilleur résultat possible. Mais ce sont des orientations. Ça nous paraît simplement le minimum pour commencer à aller dans une direction. Le sens de l’histoire c’est que, progressivement, les congés des deux parents soient allongés. L’idée est de poser un jalon d’égalité. Plutôt que de “juste” prendre en compte la santé de la femme et du bébé (qui est très importante), on offre une nouvelle étape de réflexion en prenant mieux en compte la santé mais également l’impact sur l’égalité et sur les opportunités laissées à chacun.

 

J : Et le lien entre le père et l’enfant, vous le situez à quel moment ?

 

P.B. : J’ai pas vraiment de conviction par rapport à ça. En passant quelques heures par jour avec un enfant, en étant disponible, en étant vraiment présent, le lien se crée. De ce que j’ai ressenti avec mes deux enfants, je n’ai pas l’impression d’être plus lié au deuxième avec qui j’ai passé deux mois à temps plein. Tu le comprends juste un peu plus rapidement. Mais je ne crois pas que l’enjeu soit là.

 

J : En ce qui concerne l’obligation, comment la faire valoir ? N’est ce pas une entrave à la liberté des couples ? L’Etat est-il légitime ?

 

P.B. :  Déjà, il faut regarder les gens qui prennent et qui ne prennent pas le congé paternité actuel. Les gens qui le prennent le plus sont en CDI ou fonctionnaires Ils sont 90-95% à le prendre. Les 5% qui restent, on ne sait pas trop ce qui leur est passé par la tête. Ceux qui ne le prennent pas, ce sont des gens en CDD, à des postes moins sûrs ou des indépendants. Les chiffres sont clairs : si tu peux, tu le prends. Si ça te met en danger financièrement ou par rapport à ton job, tu ne le prends pas. Donc l’obligation est du côté de l’employeur, pas du parent. S’il y en a qui, dans le choix de leur couple, ne veulent absolument pas que le père s’occupe de l’enfant : personne ne l’empêche d’aller à la pêche, d’aller jouer au foot avec ses amis, de faire ce qu’il veut, de partir. Il n’y a pas de contrôle. Donc le congé, ce n’est qu’un droit en plus, il n’y a aucune obligation associée à ce droit. Après si : il y a une obligation morale. Il y aura une certaine pression de la société sur les pères qui ne s’occupent pas de leurs enfants, en disant “c’est plus comme ça qu’on fait aujourd’hui”. Ça commence déjà à être le cas et ce n’est pas la loi qui fait ça, c’est l’évolution des mentalités.

 

M. : Donc pour vous l’obligation vaut pour le congé de naissance uniquement ou pour le congé parental d’accueil également ?

 

P.B. : En l'occurrence on le mettrait uniquement sur le congé de naissance (NDLR : 2 semaines) dans un premier temps parce que l’autre congé paternité prolongé (NDLR : 2 mois) qu’on propose est quand même plus impliquant, demande de la part de la mère et du père un certain cheminement. Notre idée, et c’est aussi une question d’économie, c’est que ce ne sera pas pris par tout le monde immédiatement. Simplement, ça deviendra possible pour tout le monde de le prendre. Donc quand l’employeur recrutera quelqu’un, il se dira “potentiellement il va partir 2 mois s’il a des enfants”. Le taux de recours augmentera petit à petit, il faudra communiquer et expliquer. Mais en général si on parle de deux mois de congés rémunérés versus mettre l’enfant dans une crèche ou avec une nounou (ça coûte cher mine de rien même si c’est subventionné), l’impact financier est inversé. Ne pas le prendre coûterait de l’argent au couple, alors qu’aujourd’hui le congé coûte de l’argent aux couples. Ce n’est pas mathématique parce que les humains ne sont pas des agents rationnellement économiques et ne prennent pas leurs décisions que pour l’argent mais ça enlève le frein financier. Les gens qui en avaient envie, qui y réfléchissaient, le feront beaucoup plus facilement.

 

J. : Vous avez mis en place un service d’accompagnement des entreprises sur les sujets de la parentalité, vous pouvez nous en dire plus ?

 

P.B. On aide les entreprises à bien gérer la période sensible de jeune parentalité de leurs collaborateurs, et ça passe aussi par la sensibilisation des collègues de ces jeunes parents.

Pour cela, on a d’abord un format conférence : je viens raconter mon histoire, décrire les évolutions des aspirations et attentes des parents, aider à réfléchir aux bénéfices pour toute l’entreprise de “bien traiter” les jeunes parents. Aujourd’hui, les gens qui nous sollicitent le plus sont les réseaux d’égalité et de mixité, qui étaient à la base des réseaux de femmes. Elles cherchent des sujets (parce qu’en général, ce sont quand même des femmes rires) qui vont faire venir des hommes. On arrive à avoir 30-40% d’hommes sur la conférence, et sur le site du Paternel aussi. Le Paternel s’adresse à un homme, mais on a quand même 60-70% de lectrices. Mais c’est beaucoup en fait d’avoir 30-40% d’hommes sur un site lié à la parentalité. On accompagne aussi les entreprises dans la synthèse et la mise à disposition de leurs collaborateurs de l’ensemble des dispositifs et bénéfices auxquels peuvent prétendre les jeunes parents. Entre le droit social, les conventions collectives, le CE, ça peut être compliqué de s’y retrouver. Et, enfin, on réfléchit avec les entreprises à leur “stratégie parentale”. Qu’est-ce qu’on a ? Est-ce que c’est satisfaisant ? Est-ce que cela favorise l’égalité femmes-hommes ? Qu’est-ce qu’on peut imaginer pour aller plus loin ?

 

J. : Auprès de qui faites-vous valoir le modèle que vous proposez ? Comment le médiatisez-vous ? Vous avez tenté de le présenter à des acteurs politiques ?


P.B. : On ne l’a pas vu comme un moment politique. Il y a des pétitions, re des pétitions, et encore des pétitions. Personnellement, ça me paraissait réducteur de dire “il faut passer à  3, 4, 5, 8, 12 semaines.” Chacun donnait son chiffre comme ça. Je trouvais que ça manquait de structure. On a essayé de reposer le sujet en se demandant comment on pourrait faire aujourd’hui pour que les congés soient mieux répartis entre le père et la mère. On met notre réflexion sur le tapis, les gens en font ce qu’ils veulent, et s’il y a des pistes qui peuvent être reprises, super ! Mais on ne va pas porter la loi. Après on a fait Lait paternel (https://laitpaternel.com), le 1er avril : c’était presque de l’activisme. C’est parti d’une idée d’article de 1er avril sur le développement d’un médicament qui permettrait aux hommes d’allaiter. Et puis on s’est aperçu que ça résonnait bien avec les idées de meilleur partage de la parentalité que l’on avait poussées dans notre tribune. Alors on s’est donné à fond. Un shooting de jeunes pères avec leur bébé. Un site. La totale. Et ça a été hyper bien relayé. Ça a choqué certaines personnes mais beaucoup de gens m’ont dit que ça les avait fait réfléchir au partage des tâches justement et au décalage qu’il restait. Par cette image, on voulait montrer qu’il y a des stéréotypes sur le rôle du père et de la mère. Quand on les dépasse, on s’aperçoit que c’est assez naturel à regarder et ça remet en questions toutes les autres idées.

 

Sur le chemin politique de cette idée, j’y réfléchis de plus en plus en fait. La question c’est - et c’est ce qui m’a amené à faire Lait Paternel -  qu’on a l’impression qu’il y a un consensus mou sur le prolongement du congé paternité. Personne ne semble être vraiment contre et pourtant ça ne bouge pas. Pourquoi ? Lait Paternel avait pour vocation à faire sortir du bois les gens qui pensent “ce n’est pas le rôle du père” “ce n’est pas le rôle de la mère” etc. Ayant discuté avec quelques personnes proches du milieu politique là dessus, en réalité une des raisons pour laquelle ça ne bouge pas c’est que les gens ont peur d’un “Mariage pour tous bis”. En France, on a un historique assez lourd là dessus, entre le Mariage pour tous et l’ABCD de l’égalité (ces petits livres qui expliquent aux professeurs qu’ils faut essayer de traiter les garçons et les filles de la même façon, repris par certains pour dire “on veut transformer nos enfants en homosexuels à l’école”). Dès que tu touches au genre, dès que tu fais la promotion de l’égalité des genres, en réalité tu es sur un terrain politique très sensible et je pense que c’est à cause de ça que le congé paternité ne bouge pas. Une fois que tu as compris ça, il faut trouver une manière de raconter le congé paternité qui ne soit pas une transformation des moeurs et des mentalités, mais qui soit un objectif d’efficacité, de liberté, d’opportunité partagée etc. Par là on pourrait y arriver, mais aujourd’hui, en tout cas ce je ne suis pas sûr que ce gouvernement tentera quoi que ce soit.

 

M. : Même si le gouvernement a commandé le rapport de l’IGAS vous pensez qu’ils ne feront rien ?

 

P.B. : C’était une manière de faire avancer l’idée, et c’est bien. Quand le gouvernement fait ça c’est déjà faire quelque chose, c’est faire en sorte qu’il y ait plein de petits messages qui disent “finalement le congé paternité allongé c’est pas mal” et ça rentrera progressivement comme quelque chose de normal. Mais je pense qu’ils ne bougeront pas parce qu’ils ont déjà une situation sociale “pas simple”. Je ne les vois pas se dire “on va re-exciter les gens qui s’excitent sur la PMA” parce que tu peux re-connecter ça avec la PMA en 3 secondes,  parce que si tu réformes le congé paternité et maternité tu vas forcément prendre en compte les familles homoparentales, monoparentales etc. Soit tu effaces une partie de la population et ta réforme est quand même un peu pourrie, soit tu les prends en compte en prévoyant des choses pour eux et la réforme sera attrapée par ce genre de réactions et créera une colère pas liée aux objectifs réels.

 

M : En parlant de priorité politique, il y a trois genre de congés liés à parentalité (le congé maternité, paternité et parental), le gouvernement a une priorité sur le congé maternité en ce moment, le congé parental est débattu au niveau européen, qu’est ce que vous en pensez ?

 

P.B.: La question n’est pas ce que j’en pense mais comment, politiquement il est possible d’avancer. C’est vrai qu’aujourd’hui c’est peut être plus facile de faire progresser l’égalité face au congé maternité qui est un sujet important. L’égalité face au congé maternité c’est aussi mieux pour les couples et mieux pour les pères. C’est très bien de faire évoluer le congé maternité dans ce sens là.

 

Le congé parental c’est aussi un sujet de communication et de pédagogie. Aujourd’hui j’encourage les couples à réfléchir au congé parental. Moi on ne m’en avait jamais parlé. Quand j’en parle autour de moi, les gens ne savent pas que les hommes peuvent prendre un congé parental. Les gens ne savent pas que le congé parental de 3 semaines ça existe, que l’on peut prendre 1 mois de congé parental, ils s’imaginent 1 an. Si on dit qu’on peut prendre un mois de congé, ça changera plein de choses, ça un impact prouvé sur les revenus futurs de ta femme, ça a un impact prouvé sur votre partage des tâches des couples, ça a un impact prouvé sur la stabilité de votre couple, parce que finalement ça existe dans certains pays. C’est l’avantage qu’on a par rapport à certaines réformes qu’on peut imaginer, il y a des échantillons divers et variés partout dans le monde, et on peut regarder ce qui s’est passé en terme d’égalité des salaires etc.

 

J. : Vous avez en tête des études qui montrent que le revenus de la femme quand le père s’implique plus dans le congé ?

 

P.B. : Oui j’ai écrit un article là dessus: “3 raisons pour le couple d’investir dans un congé parental de 2 mois pour le père”.

 

M. : Ça parle aussi de la stabilité dans le couple ?

 

P.B. : Non je n’en ai même pas parlé, parce que je voulais en faire quelque chose de plus financier. Sur le média on essaye d’être le plus inclusif possible, de ne pas donner l’impression au père qui n’a pas pris 2 mois de congé parental qu’il était passé complètement à côté de la plaque et qu’il ne peut plus rien faire. On peut commencer à s’impliquer à tout moment de la vie de ses enfants, on peut avoir sa révolution quand on veut. On ne veut pas mettre de pression, on ne veut pas s’adresser uniquement aux pères qui ont déjà fait tout ce cheminement. Notre objectif c’est de dire que la société aborde trop peu ce sujet, et qu’il faut décomplexer les pères. Si on commence à dire “ton mariage a 30% moins de chance de tenir maintenant que tu n’as pas pris de congé parental” ils risquent de partir du site et il n’entendront pas les autres conseils que l’on peut donner.

 

J. : Une loi d’allongement du congé paternité aurait un impact sur les normes sociales, et ne répondrait pas seulement aux aspirations des pères.

 

P.B. : C’est pour ça, on y est peut être pas encore. Je suis pas certain que l’Etat ait le rôle de transformer la société. La société se transforme et l’Etat se met à jour de temps en temps. C’est une vision du politique personnelle. Surtout dans un monde qui se complexifie, il faut plus identifier et mesurer les évolutions et ensuite s'adapter, plutôt que d’essayer de faire passer des choses qui sont mal comprises, reprises et explosées. Un “mauvais” débat sur le prolongement du congé de l’autre parent pourrait être mauvais pour la parentalité. Certains hommes se radicaliseraient et diraient “je m’occuperai plus du tout des enfants” (rires), je sais pas.

 

J. : Du coup il faudrait attendre?

 

P.B. : Il y a un peu de ça, attendre en étant actif. Si on arrive à démontrer par exemple que dans les entreprises qui communiquent auprès de leurs collaborateurs on arrive à avoir x% de pères qui prennent un congé parental de 1 ou 2 mois, qu’ils reviennent, que ça se passe bien dans leur carrière. Il y a plein d’expérimentations possibles avant de le faire au niveau de l’Etat. Ça serait hyper bien de le faire au niveau de l’Etat mais je commence à comprendre les blocages actuels. Si c’est pour se retrouver à débattre de manière caricaturale du sujet avec des arguments comme “les pères qui s’impliquent ne sont pas des hommes” ou “les mères qui laissent leur enfants à leur père sont de mauvaises mères” on n’aura pas avancé, on aura plutôt reculé.

 

M. : Si ça doit pas se faire au niveau de l’Etat, ou que ce n’est pas le moment, est qu’il faudrait privilégier une autonomie des entreprises qui mettent en place d’elles même un congé paternité plus long ?

 

P.B. : Exactement, c’est ça qu’on accompagne. On a cette réflexion avec les entreprises : au delà du congé paternité, qu’est-ce que tu peux faire pour que les parents dans ton entreprise se sentent bien ? Qu’est ce qu’on peut faire pour que les dispositifs que tu mets en place pour la parentalité soient favorables à l’égalité femmes-hommes ? Comment tu peux communiquer auprès de tes salariés sur leurs droits et sur ce que tu as mis en place ?

 

M. : Quel genre d’entreprises s’intéressent à ça en général ?

 

P.B. : Des grosses boîtes et... des startups (rires). Alors c’est surtout les grosses boîtes et des petites entreprises, dans la techno et dans tout le reste. Il y a de tout en fait. Celles qui peuvent le faire ce sont les grosses boîtes tech qui sont toujours mieux-disantes parce qu’elles ont des rentabilités qui leur permettent de payer les gens et proposer tous les bénéfices possibles et imaginables pour plaire à n’importe quelle recrue possible. Les assureurs sont un peu dans le même état d’esprit. Les startups ont des objectifs globaux d’égalité femmes-hommes, et se demandent “comment dans les faits on peut rassurer les femmes qui partent en congé maternité?”, “comment ne pas percevoir ce départ comme une crise mais comme une opportunité de se réorganiser?” etc. Là on travaille avec des avocats sur la publication d’une documentation juridique open source pour mettre en place un congé paternité de x semaines dans ton entreprise. Parce que ce n’est pas forcément simple pour une PME. Comment tu le payes pendant le congé ? Quelles sont les charges ? Tu vas en parler avec ton expert comptable, et il ne saura pas forcément quoi faire. Alors on veut simplifier la vie des entrepreneurs des patrons de PME qui se disent “pourquoi pas” mais qui n’ont pas les clés pour mettre en route le projet.

 

Je pense qu’il y a plein d’initiatives à mener dans ce genre pour faciliter la réflexion. Il faut capter tous les moments où est en train de signifier que la mère est le parent principal et le père le parent d’appoint et voir comment on peut ajuster.

 

J. : Est que les entreprises vous parlent ou vous même vous leur parlez des externalités positives d’une meilleure conciliation vie privée - vie professionnelle et d’une mise en place d’un congé paternité ? (exemple: bien être de l’employé, performance etc).

 

P.B.: Oui c’est toujours dans ce sens-là. Ils ont conscience que leurs jeunes collaborateurs sont de plus en plus désengagés et s’en vont. Donc ils essayent de trouver des solutions pour les rendre plus contents de venir au travail.

 

M. : C’est un peu une démarche marque-employeur ?

 

P.B. : Oui exactement, mais c’est plus que ça car ce n’est pas juste au niveau de la communication. C’est une démarche de transformation du travail en réponse à des aspirations qui ont changé de la part des collaborateurs. Ça ne marche plus de dire “je vais te payer x”, donc ils cherchent d’autres manières de comprendre la nouvelle génération de collaborateurs, et ce dont ils ont besoin. Une certaine partie de la recherche sur le sens du désengagement est liée au fait que tu as une vie privée et une vie professionnelle complètement déconnectées. Tu as des enfants, ta femme te demande de t’occuper des enfants, tu as une embrouille avec ta femme pour savoir qui va pouvoir avoir une réunion à 18h et qui va devoir s’occuper des enfants, ça devient un sujet de tension, un stress. C’est impossible de se sentir bien dans ce contexte. L’entreprise doit se réinventer dans ce sens-là. Et ça sera bénéfique pour tout le monde. Ceux qui sont ne sont pas parents mais qui veulent faire autre chose de leur vie, ceux qui ont des parents eux-mêmes à aider, des proches en situation de maladie ou de handicap pour lesquels ils veulent être disponibles. Le présentéisme a montré largement ses limites en terme d’efficacité et productivité, et aujourd’hui en terme d'engagement des collaborateurs et du coup de recrutement. Il faut trouver des manières de travailler qui permettent aux gens de partir plus tôt, de se sentir à l’aise. Ça n'empêche pas les gens de vouloir de travailler mais il y a des contradictions, quand on te dit “droit à la déconnexion” c’est vrai aussi, mais en même temps si tu veux pouvoir partir à 17h et revenir travailler à 20h, c’est bizarre que ton entreprise te l’interdise aussi. Il y a plein de choses à repenser parce que les outils ont changé, le contexte social a changé, les gens sont mal à l’aise dans leur job en grande partie, il faut trouver des recettes pour améliorer tout ça. L’angle de la parentalité est intéressant parce que c’est une période de “crise”. Les outils et dispositifs qui seraient efficaces pour les jeunes parents peuvent être intéressants pour tous les collaborateurs. C’est une population test intéressante.

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M. : Comment vous vous positionnez par rapport à Antoine de Gabrielli ?

 

P.B. : Je connais bien sûr les engagements d’Antoine sur ces sujets. Il était parti beaucoup plus sur la parentalité avec Mercredi-c-papa, il faisait un peu la promotion du mi-temps pour les hommes. Je crois qu’il l’a fait un peu tôt, ça a pu être mal reçu. Ensuite, il est allé beaucoup plus sur des sujets d’équilibre des temps de vie au sens large avec moins de volonté d’inventer des choses sur le sujet spécifique de la parentalité. Moi je me dis qu’il faut faire des choses sur la parentalité parce que ça va servir l’équilibre des temps de vie en général, c’est un peu la logique inverse. Mais toute initiative dans ce sens est bonne à prendre.

 

M. :  Pour l’instant, les études montrent que le fait d’avoir un enfant a un effet négatif sur la carrière des femmes alors que c’est le contraire pour les hommes.

 

P.B. C’est comme quand tu te maries, à partir du moment où on voit une alliance, ça te catégorise comme quelqu’un d’engagé à long terme, de responsable. Avoir des enfants ça fait partie des signaux extérieurs pour un homme qui montrent qu’il est posé, qu’il ne partira pas du jour au lendemain, qu’on peut investir sur lui. Dans les stéréotypes encore en vigueur, la femme elle va désormais devoir s’occuper de son foyer. Donc cet impact positif est une réminiscence des choses contre lesquelles on essaye de lutter. De même qu’il existe un impact positif d'attractivité des hommes qui s'occupent des enfants. Dans le rue tu es bien traité, tu es mis sur un piédestal d’une certaine façon. J’ai écris un article sur le sujet “Les hommes qui s’occupent des enfants sont sexy”. Il y a des études qui le démontrent.  Par exemple, tu mets un homme seul dans un café, sa “soeur” arrive avec un bébé, dans un cas l’homme interagit avec l’enfant, montre qu’il sait le porter etc et dans l’autre cas il n’interagit pas avec l’enfant mais parle avec sa soeur. Puis lorsqu’il demande le numéro d’une femme à côté, le différentiel du taux de succès est énorme entre les deux situations. C’est parce que ça reste exceptionnel, tu te démarques. Plus ça va devenir normal moins il y aura cet impact.

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