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Entretien avec Patricia Blancard

8 avril 2019

Marianne : Pouvez-vous nous présenter vos activités ici à la CFDT Cadres ?

 

Patricia Blancard : La CFDT Cadres est transversale car nous avons un congrès tous les 4 ans et nous sommes membres du bureau national, élus ou désignés par les fédérations et les régions. Moi je suis sur le Collège du Secrétariat National, c’est le troisième collège. Chacun des secrétaires nationaux a des responsabilités particulières sur des thématiques. Dans mes thématiques, j’ai l’égalité, la discrimination, le handicap, et donc je m’intéresse aux violences sexistes et sexuelles. D’ailleurs, j’en ai parlé dans le guide du manager. D’autres de mes collègues ont d’autres thématiques : emploi, entretien professionnel, etc. Par ailleurs, je passe environ 50% de mon temps au Conseil Économique Social et Environnemental.

 

M. : Quel est votre parcours? Comment êtes-vous arrivée à la CFDT Cadres ?

 

P.B. :  J’ai un parcours qui est un peu éclectique en terme de diplômes, j’ai une formation en psychologie expérimentale, RH, informatique (j’ai eu l’équivalent du master informatique appliqué aux sciences de la vie), donc j’étais cogniticienne et c’est comme ça que je suis rentrée pour faire de l’intelligence artificielle (que je n’ai pas fait à l’époque) chez Hewlett-Packard. Quand je suis rentrée, c’était Digital qui a été racheté par Compaq, qui lui même a été racheté par Hewlett-Packard. Ce sont les différents plans sociaux qui m’ont amenée à m’engager et puis j’avais été admissible sur concours complémentaire de magistrat.

 

Sarah : C’est plutôt votre parcours en psychologie qui vous a amenée où vous êtes ?

 

P.B. : Ce qui est intéressant, c’est que finalement aujourd’hui tout se recoupe bien car même ce que j’ai fait en RH et en droit m’ont servi.

 

M. : Vous êtes en charge de la thématique sur l’égalité, les discriminations et le handicap : quelles sont vos missions ?

 

P.B. : Par exemple, je viens de mettre à jour la plaquette sur l’égalité. Je suis tout ce qui a trait à la directive sur le temps de travail, il y a une vidéo qui va bientôt sortir dans laquelle je parle des apports de l’Europe en matière d’égalité, notamment sur les congés car c’est assez intéressant ce que fait l’Europe sur ce sujet. Sur le congé paternité, la France était déjà à un bon niveau puisqu’on a déjà les 11 jours + 3 jours et l’Europe propose deux semaines, donc ça revient au même. En plus, le congé paternité c’est pris en charge au même niveau que le congé maternité. Par contre, pour le congé parental, la Commission Européenne avait proposé une avancée assez exceptionnelle puisque le congé parental restait à 4 mois mais non cessible, alors qu’avant il y avait qu’un seul mois qui était cessible, donc on sait ce qu’il se passe quand c’est cessible. Et en plus, il disait que ça devait être pris en charge au moins au niveau du congé maternité. La France avec le Conseil de l’Europe a bloqué de tout son poids. La Commission ou le Parlement propose, et ça doit être validé par le Conseil de l’Europe (président ou ministres). Ceux qui bloquent le plus mais qui ne le disent pas, ce sont ceux du gouvernement.

 

M. : Dans nos recherches nous avons vu que la CFDT était en faveur du congé paternité jusqu’à 2 mois…

 

P.B. : Nous on dit 2 mois pour différentes raisons, parce qu’on pense que c’est aussi un moyen de plus partager les tâches familiales et au niveau de l'entreprise c’est une obligation de réfléchir à une organisation du travail différente. Ce qui est important pour nous, c’est que les enfants et le risque de parentalité ne soient pas portés exclusivement par la femme, ce qui est le cas aujourd’hui. Quand on fait toutes les études, cela montre que cela a un impact négatif sur la carrière des femmes et que c’est un booster pour la carrière des hommes.

 

M. : Comment êtes-vous arrivés à cette durée : pourquoi pas 1 mois, pourquoi pas 3 mois ? Quel était le raisonnement / le calcul derrière cette durée?

 

P.B. : C’est quelque chose qui devait être atteignable et d’une durée suffisamment longue.

 

M. : Atteignable dans quel sens ?

 

P.B. : Les entreprises peuvent le faire, l’Etat doit pouvoir contribuer... On dit aussi qu’il faut qu’il y ait une prise en charge. Et même pour les cadres, on souhaiterait parfois que ça soit au delà du plafond car certains cadres dirigeants sont largement au dessus du plafond de la Sécurité Sociale et donc s’ils s'absentent trop, ils ne vont pas le prendre. Pour les entreprises qui prennent en charge à 100%, c’est quand même compliqué pour un papa de dire à sa femme “oui on a eu ensemble le bébé, mais moi je suis tellement indispensable à l’entreprise, j’étais payé à 100%, mais je vais pas prendre mes jours de congés”.

 

S. : Vous demandez une rémunération à 100% jusqu’au niveau de la Sécu

 

P.B. : Actuellement c’est ce qui est fait jusqu’aux 11 jours + 3 jours. Nous ce qu’on demande, c’est qu’en complément il puisse y avoir une rémunération. On peut perdre 20% mais au delà ça devient compliqué si on doit s'absenter au moment où on a un bébé avec un certain nombre de frais etc. 2 mois, c’est une obligation de réfléchir à une organisation du travail pour gérer les absences. Pendant ces 2 mois, si le papa s’occupe de son enfant,  le partage des tâches va être plus facile, or une des raisons des inégalités c’est qu’il n’y a pas de partage des tâches.

 

M. : On a remarqué que c’était surtout la CFDT Cadres qui s'engageait pour cet allongement, est-ce qu’on peut identifier une différence entre la CFDT et la CDFT Cadres ?

 

P.B. : En l'occurrence oui. Disons que nous avons été précurseurs. Au départ, notamment en lien avec l’Europe, il y avait une discussion sur une directive maternité. Cette directive était un échec complet, alors qu’ici la directive sur les aidants ils se mettent d’accord, même si ce n’est pas autant que l’on voudrait. La Confédération était plus sur le thème de l’allongement du congé maternité, nous nous pensons que les 16 semaines sont suffisantes pour la santé de la femme. S’il y a un problème de santé, il s’agit alors d’un arrêt de travail et s’il s’agit des enfants justement ça doit être partagé. Comme on sait que les Etats ne pourront pas décider de l’augmentation du congé maternité et paternité économiquement, ça pourrait être compliqué de réclamer les deux. Mais nous n’y sommes pas opposés, s’il y a un allongement tant mieux, nous savons qu’il y a une économie et que ce n’est pas évident. Les mères peuvent travailler au bout de 8 semaines donc ce n’est pas un problème de santé. Souvent le problème sont des problèmes de garde (crèches) qui est lié au partage des tâches.

 

S. : Vous pensez donc que le congé maternité n’est pas à prioriser. Est-ce que vous priorisez alors plutôt le congé parental ou le congé paternité? Est ce que les deux vont de pair ?

 

P.B. : Tout s’imbrique. Ce qu’on sait, c’est qu’une grande proportion des femmes qui s’éloignent du marché du travail quittent l'entreprise après (à la suite d’une congé parental de 6 mois, 1 an, 2 ans). Cependant un congé parental de 4 mois qui serait rémunéré, et pris de manière non cessible peut être une bonne idée. Nous ce qui nous dérange, c’est quand il y n’y a pas d’égalité, car là on va creuser des discriminations. Dans l’index de l’égalité, il apparaît, alors que c’est prévu dans la loi, qu’il y a des femmes qui ne sont pas augmentées à leur retour de congé maternité. Le risque parentalité est porté uniquement sur la femme. Il y a une note du CEE “J’ai une femme exceptionnelle” (2015), les hommes de la haute fonction publique qui avaient réussi disaient que c’était parce que leur femme s’étaient sacrifiées. CELA montrait que cela n’est pas lié uniquement au genre, les hommes qui faisaient le partage des tâches (à comprendre les hommes qui étaient en charge de plus de tâches) avaient le même mauvais pronostic de réussite que les femmes. C’est donc lié à la façon dont on partage les tâches. Aujourd’hui, il commence à y avoir une nouvelle réflexion car il y a de plus en plus de familles recomposées, de garde alternée et donc on a pas mal de père qui revendiquent des semaines de travail plus courte. “Cette semaine j’ai mes enfants, donc je quitte le travail tôt. La semaine prochaine je peux travailler comme un malade (sont seuls donc s’en foutent)”. Ça oblige à réfléchir à une organisation du travail. Quand on promeut le télétravail on est dans la même logique. Nous sommes en relation avec des cadres autonomes, avec des responsabilités et qui s’intéressent au contenu du travail donc qui ne veulent pas s’absenter longtemps de l'entreprise. Même les femmes cadres en congé maternité, elles veulent souvent se connecter, aujourdh’ui c'est interdit théoriquement mais dans la réalité si on veut continuer à avoir le même poste à son retour, il faut suivre un peu. On peut le contester légalement, il n’y a pas d’obligation. Nous nous sommes dans la logique de dire, il faut qu’on puisse mettre des règles collectives et le jour où on veut s'absenter pour prendre un congé de paternité on doit pouvoir le prendre”

 

M. : Certains acteurs de la controverse veulent que le congé paternité soit obligatoire…

 

P.B. : Dans notre résolution de 2009, nous avons demandé à ce qu’il soit obligatoire.

 

M. : Le 5 mars dernier, un communiqué intersyndical a été publié et il réclamait l’obligation de ce congé. La CFDT ne l’a pas signé, est-ce que c’est parce que vous y êtes opposés ?

 

P.B. : Peut-être qu’on aurait dû se mettre avec les autres….Nous ça fait longtemps qu’on a expliqué ce qu’on souhaitait. En appui, l’IGAS a donné des éléments intéressants. Il est vrai qu'on pourrait faire quelque chose de similaire au congé maternité où il y a une réelle obligation de le prendre. Ce n’est pas choquant, car le bébé ne débarque pas du jour au lendemain : on a le temps de se préparer pour déposer le congé et regarder les modalités pour s'adapter à son travail.

 

S. : Vous avez dit que ça serait intéressant pour les pères et mères de rester en contact avec leur entreprise pendant le congé, êtes-vous en faveur d’un congé qui serait fractionnable ?

 

P.B. : Fractionnable non, car on ne poserait plus la question d’une organisation différente du travail et l’employeur pourrait trop facilement dire “demain il y a une réunion importante, il faut que tu sois là”. Contrairement à d’autres organisations, on souhaite vraiment que l’entreprise soit impliquée… Ça implique un changement de comportement et on ne peut pas faire ça sans l’entreprise sinon il y aura des pénalités. Alors il y a une évolution quand même, dans la fonction publique déjà ils sont près de 90 % à prendre le congé paternité, mais il y a moins de pénalités. Après il faut regarder les caractéristiques des pères qui prennent ou non le congé. On voit les jeunes cadres demander à le transformer en argent car ils sont payés comme des débutants, et puis tout en haut de la pyramide, des cadres dirigeants qui sont tellement pris dans leur travail qu’ils ne le prennent pas car ils n’en ont pas le temps.

 

M. : Si j'ai bien compris vous me dites que vous êtes en faveur de l'obligation du congé paternité ?

 

PB : Oui oui.

 

M. : Mais l'obligation est une mesure qui n'est pas bien acceptée car cela représenterait une intervention de l'État dans la sphère publique.

 

P.B. : Oui c'est vrai, mais on sait aussi très bien qu’il faut demander fortement. Si on ne dit pas “il faudrait que ce soit obligatoire”, ça va être “juste pour ceux qui veulent”. Donc il faut qu’il y ait une incitation où on sent que cela puisse se faire même si ce n'est pas obligatoire. Deux mois c’est quand même pas énorme. En plus, je le répète : l'arrivée d'un bébé a un avantage énorme pour l'entreprise, parce que le bébé ne sort pas du jour au lendemain donc il y a quand même le temps de préparer, que ce soit pour le congé de maternité ou de paternité. C'est vraiment l'idée de dire qu’il faut arrêter que le risque de parentalité soit uniquement pour la mère, mais qu’il soit du coup porté par les deux parents et donc ça veut dire que finalement cela s’étend à l'ensemble de la société car on ne sait pas qui peut être parent ou co-parent à un moment ou à un autre.

 

A ce moment là, il y a une réflexion différente, qu'il faut avoir une fois qu'on est rentré dans cette logique. On voit bien que la manière dont le travail est organisé par exemple quand l'enfant est malade etc on va le prendre d’une manière différente. Aujourd'hui on a de plus en plus de pères ou de co-parents qui vont une fois dans la journée s'occuper de leurs enfants pour les amener à l'école sauf qu’aujourd'hui on est encore dans le modèle où le père se dit “j'y vais le matin mais pas le soir parce que ça ne se fait pas de partir tôt”. Le matin, ça se voit moins “j'arrive en retard mais je peux gérer” et c'est à la femme de se débrouiller le soir. En fait c'est tout ça qu'il faut arriver à changer pour qu'on arrive à dire c'est quelque chose de normal et c'est pas parce que je veux partir à 18h ou 17h30 pour aller chercher mon bébé à la crèche que je suis moins investi dans l'entreprise.

 

M. : Le père a 4 mois après la naissance de l'enfant pour prendre le congé. Est-ce que cela vous convient?

 

P.B. : Oui, c'est pas mal parce que de toute façon la maman a déjà les premières semaines donc il fallait surtout pas que ça soit éloigné. Donc dans les 4 mois ce n’est pas choquant.

 

M. : Par rapport à l'articulation des congés maternité et paternité, certains disent que le congé paternité devrait être après le congé maternité, d’autres le veulent simultanément, qu’en pensez-vous?

 

P.B. :  Oui, si c'est après c'est mieux parce qu’il faut faire confiance au père. Parfois on se dit “il ne saura pas, il faut que je sois à côté, il faut que je lui montre”.

 

S. : Par rapport à l'implication de l'entreprise dans le congé paternité, est-ce que vous pensez que l'entreprise aussi a un rôle à jouer ?

 

P.B. : Il y a un certain nombre d'accords où l'entreprise prend en charge jusqu'à 100 % de la rémunération. Il y a aussi des entreprises qui ont augmenté la durée du congé qui peut aller jusqu'à 1 mois ou plus. On a essayé de faire le tour, il y en a pas mal quand même.

 

M. : Et tout ça se fait par convention collective, c'est ça?

 

PB : Non c'est par accord d'entreprise.

 

S. : Est-ce que vous pensez que c'est un levier qu'il faut continuer à développer?

 

P.B. : Oui c'est un levier qu'il faut développer. Mais l'avantage de le transformer par la loi c'est que ça toucherait tout le monde. Autrement, ça reste souvent le cas des grosses entreprises seulement. Pour les plus petites entreprises, c'est toujours compliqué. Nous ce qu'on dit, c'est que c'est pas parce qu'on est dans une petite entreprise qu’on a le droit à des petits droits. Et c'est vrai que c'est compliqué quand on est dans une petite entreprise, rien que pour être remplacé. Il y a beaucoup de grandes entreprises qui prennent en charge le congé, parce que ça fait partie aussi de leurs valeurs d'égalité, ils font des ratios etc, ils se disent que bon finalement c'est pas forcément si énorme que ça et du coup “par rapport à mon image je vais tenter d'avoir le label égalité”.

 

M. : Donc selon vous il faut inciter les entreprises…

 

P.B. : Oui, les inciter à donner un complément et à allonger les durées. Il faut voir les modalités qui sont les plus faciles pour dire “on est une société, on est une entreprise parent-friendly”.

 

S. : Est-ce que pour convaincre l'État et les entreprises vous utilisez des méthodes de calcul de coûts pour calculer les externalités positives par exemple ?

 

P.B. : Alors oui, on avait commencé à calculer mais il est vrai que c'est quand même très complexe par rapport au coût, parce qu'en plus il y a une inconnue qui est combien vont prendre le congé paternité. Car même si c’est obligatoire, il n’y aura pas de pénalités.

 

M. : Justement par rapport à l'obligation, s'il n'y a pas de pénalité, la mise en place serait difficile, non ?

 

P.B. : On sait qu’en général il faut des sanctions pour que cela marche. Malheureusement non, on ne fera pas de sanctions. De toute façon il faut qu'il y ait un changement dans les mentalités à tous les étages. Vous vous êtes des jeunes femmes, mais il faudra aussi que vous discutiez avec votre copain pour qu’il y ait une prise en charge aussi sur ça.

 

S. : Est-ce que selon vous une loi pourrait changer les mentalités?

 

P.B. : La loi n'a jamais changé les mentalités. Disons que ça peut quand même inciter. Dans un premier temps les 11 jours n'étaient pas pris en charge, puis il y a plusieurs entreprises qui l'ont fait, et puis des lobby.

 

M. : On a l'impression sur l'agenda politique que le congé maternité, paternité et parental sont en concurrence c'est-à-dire que parfois il y a des priorités soit sur l'un soit sur l'autre. La CFDT s'est majoritairement exprimée sur le congé paternité plutôt que parental est-ce qu'il y a une raison à ça ?

 

P.B. : Oui parce que le congé parental aujourd'hui est pris à 95 % par les mères et nous ne sommes pas favorables à accentuer encore l'éloignement des femmes de l'entreprise. C'est pour ça qu'on n’a pas spécialement avancé là-dessus. Le combat va être pour que les hommes prennent le congé. Le congé parental est défini au niveau de l'Europe, il est intéressant parce qu'il peut être pris jusqu'aux 12 ans de l'enfant. On verra comment ça se décline en France. Il devait être payé au niveau du congé maternité, mais la France a obtenu que ce soit payé “à niveau adéquat”. Quel niveau adéquat ? Si c'est comme aujourd'hui, alors aucun homme ne le prendra, surtout les hommes cadres ou même les femmes cadres. Les femmes cadres acceptent éventuellement de prendre un congé parental à temps partiel, ce qui est possible, même en forfait jour, donc elles prennent une journée où elles s'occupent de l'enfant, mais ce que l’on constate, c'est qu’il y a une partie de cette journée qui est occupée à travailler, donc elle perd de l'argent et elle travaille quand même. D'ailleurs parfois quand elle veut retourner à temps plein, l'employeur dit “non finalement le boulot est fait, pourquoi je te reprendrai” (rires). C'est vrai qu'on a très peu d'hommes qui prennent le congé parental même à temps partiel, mais tant que le niveau de rémunération n’est pas suffisant... Le modèle des pays nordiques est vraiment intéressant car il y a une prise en charge importante et les comportements font que c'est normal. C'est d'abord la mère qui prend souvent les premiers mois, et ensuite le père. Il n'y a pas beaucoup de perte de salaire et vu que c'est pris par tout le monde on ne se pose pas la question. Parce que c'est vrai qu'il y a un moment où, si tu ne perds pas d'argent, quelle est l'explication que tu vas donner ? C'est quand même compliqué d'expliquer “non, le congé ça ne m'intéresse pas, enfin, on a un enfant ensemble mais finalement, moi je ne veux pas en assumer la charge”. Donc c'est pas qu’on est opposés au congé parental, on est opposés à ce qu'il y ait un congé qui soit pris par les femmes seulement. Les combats sont à mener petit à petit vu les contraintes économiques, c'est pour ça qu'on a en premier appuyé sur le congé de paternité parce qu'on sait que ça va être compliqué d'avoir tout en même temps.

 

M. : Par rapport à la vie en entreprise que vous voyez dans le cadre de vos responsabilités ici, est-ce qu'il y a une pression sociale qui est exercée sur les pères, une pression de l'employeur et des collègues qui dissuaderait les hommes de prendre leur congé paternité ?

 

P.B. : Oui, il y a une pression et collectivement les choses évoluent. Dans une entreprise où il y a beaucoup de trentenaires, ils demandent plus que les autres un allongement du congé paternité. C'est vrai que cela va dépendre de l'entreprise et puis c'est pour ça que c'est important d'avoir une organisation syndicale au sein de l'entreprise. Il faut s'assurer qu’au retour du père du congé paternité il n'y ait pas de sanction, que la charge du travail soit adaptée pour que pendant 15 jours il ait moins de travail et qu'il puisse faire tranquillement son retour parce que sinon une sanction pourrait être qu'il ne peut plus assurer sa charge et qu’on lui dise “tu n’as pas su faire ton boulot, donc finalement tu n’auras même pas ton variable”. Pour les collègues, c'est un peu compliqué. C'est pour ça que ce qu'on souhaite, c'est qu'il y ait un droit collectif pour qu'après de manière individuelle, ça puisse être pris et qu’on puisse s’appuyer là-dessus. Sinon on a des droits virtuels qui ne vont pas être pris.

 

S. : Certaines personnes pensent qu’une plus grande implication des pères dans la sphère familiale serait aussi positive pour l'entreprise car il y aurait moins d’absentéisme, plus de productivité…

 

P.B. : Oui il y avait plein de personnes,  le Laboratoire de l'Égalité etc., qui disent que même pour l'entreprise ce n'est pas forcément négatif, en tout cas à moyen et long terme. Nous on pense que c'est aussi le seul moyen pour qu'il y ait plus de partage des tâches. Le surprésentéisme est aussi un fléau pour l’entreprise : tant que le modèle sera le modèle du cadre quinqua mâle, on aura plus de difficultés. Le surprésentéisme a un coût faramineux, et ça finit par de l'absentéisme ou des fautes, parce qu'on ne peut pas être performant 24 heures sur 24. Aujourd'hui avec les moyens modernes, on peut être en télétravail., Il faut juste une gestion adaptée au choix des parents et l'entreprise a tout à y gagner.

 

M. : Certaines entreprises, notamment les plus petites, sont moins favorables à la réforme du congé paternité et surtout à l'obligation. Comment justifier une loi collective quand il y a des situations financières très différentes?

 

P.B. : Les partenaires sociaux ont eu à se prononcer sur les projets de directive. C'est clair que les représentants des PME et TPE disaient “on n'est pas opposés sur le principe mais il faut qu'on puisse continuer”. C'est le remplacement qui n'est pas toujours évident, mais on a la même problématique pour quelqu'un qui doit partir en formation ou qui tombe malade. C'est la gestion qui est compliquée et il faut qu'il y ait un accompagnement des branches pour voir comment on fait. Il peut y avoir éventuellement des remplacements. On sait que même dans les PME, il y a certains cas où ce serait intéressant d'avoir, par exemple, des cadres à temps partagé : on peut se remplacer en cas d'absence. Mais il ne faut pas cacher qu’effectivement c'est plus compliqué quand on est une TPE parce qu’on ne peut pas toujours remplacer le cadre. Donc il faut avouer que c'est compliqué, mais de la même façon si une femme se retrouve enceinte, elle va quitter l'entreprise pour son congé maternité.

 

S. : Le directeur de la CPME dit que l'obligation du congé paternité est “absurde”. Est-ce que vous avez des liens avec d'autres syndicats qui seraient contre le congé paternité?

 

P.B. : Quelque soit le sujet, les employeurs ne veulent aucune norme, aucune règle. Ils ne vont pas dire qu'ils sont favorables à une contrainte supplémentaire, c'est logique. Après, il faut peser les bénéfices/risques en matière d'égalité. Il y a des choix qui sont à faire et c'est le gouvernement et le législateur qui les font. Chacun joue son rôle en disant “voilà je défends les intérêts des salariés” mais c'est eux qui tranchent. Mais dès qu’il y aura contrainte, les entreprises vont être vent debout.

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