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Entretien avec Christine Castelain Meunier

3 mai 2019

Marianne : Quel est le rôle que vous avez eu lors de l’instauration du congé paternité en 2002 ?

 

Christine Castelain Meunier : Je suis devenue  chercheuse au CNRS et j’ai choisi d’intégrer le laboratoire dirigé par Alain Touraine, qui lançait une recherche sur le mouvement des femmes. C’était passionnant, la question des droits des femmes est fondamentale. Et par ailleurs, je suis « tombée » sur les groupes de défense de la paternité, à ce moment-là. J’ai voulu comprendre quelles étaient les revendications des pères, pourquoi ils avaient créé des mouvements de défense de la paternité. En fait, ils avaient commencé à créer des mouvements de la défense de la paternité dans les années 1975. Pourquoi 1975 ? Parce que c’était la loi sur le divorce par consentement mutuel, et un certain nombre de pères, en cas de séparation, avaient le sentiment que plus l’enfant était petit, plus ils avaient des difficultés à obtenir la garde partagée avec la mère. Ils se sont alors mis en position de défense de la paternité. Mais, ce qui est intéressant c’est qu’il y avait deux types de groupes de défense : les pro-féministes, qui respectaient les droits des femmes, et j’étais bien sûr en sympathie avec eux ; et il y avait les autres qui, au contraire, prétendaient que le mouvement des femmes avait entraîné la diminution de la puissance paternelle et avait amputé, si je puis dire, la paternité de certains droits. Je me suis dit que cette version-là n’allait pas du tout, et je me suis dit que ce qui comptait, c’était d’aller voir véritablement ce qu’il s’est passé du côté de la paternité. J’étais donc obligée d’aller voir du côté de l’histoire et de la psychanalyse, et bien sûr de la sociologie pour comprendre ce qu’il s’était passé du côté de la transformation de la paternité. Et ce qui était très intéressant c’est que, bien évidemment, je suis « tombée » sur les phénomènes historiques qui expliquaient que la paternité s’était transformée, notamment à la Révolution française. Les historiens nous disent qu’avant la Révolution française c’était «  l'âge d’or » des pères, et après, c’était la diminution de la puissance paternelle. Pourquoi à la Révolution française ? Parce que le père a perdu le pouvoir de déshériter ses enfants, de privilégier les aînés par rapport aux cadets, et de privilégier les garçons par rapport aux filles. Et le père a perdu ses pouvoirs sur les enfants majeurs, puisqu’avant il avait la possibilité d’envoyer ses enfants à la prison de la Bastille si « l’enfant » ne voulait pas épouser la personne que le père voulait. Du coup, j’ai commencé à réfléchir sur les transformations de la paternité pour comprendre ce qu’il se passait d’un point de vue contemporain. Et là, ce qui m’a beaucoup frappée, c’est que les transformations de la famille sont passées de ce que j’appelle une “paternité institutionnelle”, c’est-à-dire définie par l’institution familiale, avec les places, les rôles de chacun, la complémentarité etc., à une “paternité relationnelle”, c’est-à-dire que c’est la capacité que le père a de créer un lien avec son enfant qui fait la paternité. Pourquoi paternité relationnelle ? Parce que justement, le père n’était plus « protégé » par l’institution familiale qui était en changement. Par contre, c’était à lui de créer le lien avec l’enfant et notamment si jamais il y avait séparation d’avec la mère, il fallait que lui-même ait réellement construit sa place de père. Je trouvais passionnant de voir à quel point la paternité changeait d’un point de vue qualitatif . Et, quand Ségolène Royal m’a demandé de venir parler sur les pères, en 2000,  alors qu’elle était ministre déléguée au secrétariat aux affaires familiales, j’ai proposé qu’on allonge le congé paternité, cet allongement avait aussi été proposé à l’échelle européenne. Ségolène Royal avait demandé à quelques chercheurs de parler de différentes choses concernant la famille. Ce que j’ai trouvé très intéressant, c’est qu’elle avait fait venir des responsables d’associations, rurales etc. J’ai alors dit à quel point la paternité s’était transformée, et à quel point il y avait une difficulté de la part de la société à reconnaître ces transformations de la paternité. J’ai fait un article dans Le Monde le lendemain de notre réunion, intitulé “Désenclaver la paternité”, ça voulait dire à quel point il fallait reconnaître les nouveaux contours de la paternité dans la société contemporaine. En fait, à ce moment-là, j’ai proposé qu’on crée un livret de paternité parce qu’il existait un livret de maternité et pas un livret de paternité. Et maintenant, ce que je trouve intéressant, c’est que ça s’appelle un livret parental. Je souhaitais qu’on allonge le congé de paternité, comme dans les pays scandinaves et l’idée pour moi c’était au moins 3 mois, et en fait, ce qui a été décidé c’est 11 jours, plus 3 jours de congé de naissance. A ce moment-là ce que j’ai trouvé sympa, c’est qu’il y avait des tas de gens qui me disaient “mais ils ne le prendront pas les hommes ce congé de paternité ! Ils le prendront pour améliorer leur situation professionnelle, mais pas pour s’occuper de la famille, des enfants etc”, alors que oui la majorité le prend pour s’occuper de la famille, des enfants, et ça c’est super. Il y avait aussi des associations rurales qui sont venues me voir et qui m’ont dit “qu’est-ce qu’on est contents que vous proposiez l’allongement du congé paternité”, là on l’on aurait pu penser que les associations rurales, étaient plutôt opposées à ça, avec un côté traditionnel, eh bien pas du tout, donc j’étais contente. Ségolène Royal nous a fait travailler sur le livret de paternité et en fait tout ça a été mis en place 2 ans après, ça met du temps.

 

M. : Donc il y a une commission ou un groupe de travail au sein du ministère ?

 

C.C.M. : Ségolène Royal m’a demandé de travailler sur le livret paternité que j’avais proposé, elle a demandé à d’autres personnes de travailler aussi dessus, d’apporter des éléments, et en fait ce qu’elle a fait, c’est qu’elle a pris un peu des verbatims de chacun d’entre nous. Le livret de paternité a été envoyé par des CAF.  On était pas réuni en commission, on travaillait séparément.

 

M. : Donc c’était plus un travail d’expertise, vous lui remettiez un dossier avec toutes vos recommandations, et ensuite elle a choisi ?

 

C.C.M. : On m’a fait intervenir une heure au cours de la conférence de la famille en 2000 et donc j’ai fait tout mon topo en une heure, et puis ensuite Ségolène Royal a retenu, a repris et a synthétisé les éléments qui l’intéressaient. Lorsque nous les chercheurs, nous faisons  des propositions, on livre le résultat de notre travail, et ensuite on se sent un peu dépossédé. C’est pour ça que j’ai éprouvé le besoin de faire un article dans Le Monde après. Mais c’est génial quand les politiques transforment nos propositions en loi ce qui a été le cas.

 

 

M. : Depuis 2002, le congé paternité est un peu revenu dans le débat, qu’est-ce que vous pensez de la durée actuelle ? Vous avez déjà un peu répondu, si à la base vous vouliez trois mois, je suppose que pour vous c’est toujours trois mois ? Pourquoi trois mois ?

 

C.C.M. Alors moi bien sûr je préfère quatre mois, mais je disais trois mois un peu dans le sens d’un trimestre, mais effectivement, la nuance d’un point de vue financier est peut-être importante. Mais je préfère quatre mois bien sûr. On est d’accord ! J’ai écrit un livre qui doit sortir en septembre, qui s’appelle L’instinct paternel, Eloge des nouveaux pères, chez Larousse, et je préconise bien sûr l’allongement du congé paternité. Et je pense notamment que c’est fondamental que le père soit présent dès que l’enfant  arrive au monde, et qu’on lui fasse une place et qu’il prenne sa place. Pour l’instant sa place demeure encore mal reconnue.

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M. : On a étudié d’autres positions d’acteurs, notamment un rapport de l’IGAS, qui a été commandé par le gouvernement l’année dernière, et dans les propositions de scénarios il y a trois, quatre, ou six semaines, donc on est encore un peu loin de ce que vous proposez. Qu’est-ce que vous avez à répondre à ça ? Est-ce que vous pensez que c’est pas assez ou non ?

 

C.C.M. : C’est une suite positive mais il importe d’aller plus loin.

 

M. : Le but pour vous c’est de se rapprocher du congé maternité ou non ?

 

C.C.M. : Pour moi ce qui est important, c’est que l’homme ait une place reconnue comme père, qu’il ait des moments où il est seul avec l’enfant pour être autonome. La place de la mère est tellement plébiscitée par la société que l’homme a parfois le sentiment que c’est la femme qui sait faire et que lui ne sait pas faire. On lui renvoie éventuellement l’idée qu’il fait les choses de travers, alors que c’est important que l’homme ait son autonomie dans sa relation avec l’enfant. Je trouve que c’est fondamental, parce que souvent, on renvoie à l’homme qu’il n’est pas compétent, et que ça ne sert à rien cette interaction avec les tout-petits, alors qu’en fait j’adore cette idée que c’est l’enfant qui fait le père. Et donc plus le père est au côté de l’enfant, plus il y a interaction avec l’enfant, plus le père devient père.

 

M. : C’est intéressant, on a vu ça aussi dans quelques études, notamment dans les pays scandinaves. Il y a une autre modalité du congé paternité qu’on a retrouvée, c’est l’obligation. Vous y êtes favorable ?

 

C.C.M. : Alors, moi j’aimerais bien que ce soit obligatoire, et j’aimerais bien aussi qu’on accompagne mieux les hommes, et c’est pour ça que j’avais proposé au moment des présidentielles, quand on m’avait interviewée sur Slate, de créer un secrétariat d’Etat aux droits des hommes aussi, parce qu’on est dans une période de transition. Et il importe de sortir du patriarcat en reconnaissant aussi qu’il y a des hommes qui peuvent connaître des difficultés.

 

M. : Et vous pensez que c’est du ressort de l’Etat d’intervenir dans la sphère privée finalement ?

 

C.C.M. : Dit comme ça, c’est délicat. On est d’accord. Mais on est dans une période charnière, où c’est fondamental que les femmes avancent dans le respect de leurs droits. C’est fondamental qu’on aille vers l’égalité. En même temps, il faut aussi avoir en tête qu’il y a des différences à cause de l’histoire, de tas de choses, et qu’on ne doit pas fermer les yeux sur le fait qu’il y a des hommes qui éprouvent des difficultés à être présents de manière impliquée et respectueuse dans la sphère privée. Pourquoi ? Parce que l’homme a l’habitude de s’affirmer dans la sphère publique et moins dans la sphère privée. Parce qu’il est encore sollicité dans des responsabilités de chef de famille comme autrefois…  Alors est-ce que je dis ingérence dans les affaires privées ? Moi je ne vois pas ça comme ça. Ce que je vois c’est que, au Canada, les hommes qui ont des problèmes sont suivis de manière très régulière, d’un point de vue individuel et aussi dans le cadre de groupes avec d’autres hommes au cours desquels ils parlent entre eux. Il y a un animateur, il y a des psychologues, et ils peuvent les contacter 24h/24. Ça veut dire que quand un homme séparé, dit “je ne sais pas quoi faire avec mon enfant quand j’ai la garde de mon enfant”, il peut le dire sans être perçu comme quelqu’un de ridicule, et là il y a quelqu’un qui lui dit “mais peut-être que vous pourriez faire ça, vous allez échanger dans le groupe avec d’autres qui vont peut-être ressentir la même chose et vous allez trouver des ressources.”

Ce que je veux dire, c’est qu’il faut accompagner les hommes pour leur permettre de bénéficier de ressources qui vont faire en sorte que leur paternité soit solide, en faveur de l’éducation de l’enfant.

 

M. : On a trouvé beaucoup d’accords qui parlent d’un changement de mentalités qui serait permis par cette obligation, vous êtes d’accord avec ça ?

 

C.C.M. : Oui, tout à fait.

 

M. : On a vu que le gouvernement n’était pas forcément favorable à l’obligation, notamment Marlène Schiappa qui a écarté de sa réflexion cette modalité, par peur d’un effet de rejet de la part des pères, comme cela avait été le cas avec la réforme du congé parental en 2014. Qu’en pensez-vous ?

 

C.C.M : Le congé parental, c’est tout à fait autre chose. Il est souvent très peu rémunéré, donc je crois que derrière les réponses politiques il y a véritablement une préoccupation budgétaire, Et je pense donc que c’est fondamental que le congé paternité soit rémunéré, et soit rémunéré sur le long terme

 

M. : Est-ce que vous pensez que le congé paternité devrait être une priorité dans l’agenda politique par rapport au congé maternité ou au congé parental ?

 

C.C.M. : Le congé maternité et le congé paternité sont prioritaires. Le congé parental c’est une autre option. On confond très souvent congé de paternité et congé parental. Or, ce n’est pas la même chose.

 

M. : Parce que le gouvernement actuel a reporté la réforme du congé paternité pour s’occuper d’abord du congé maternité : vous êtes d’accord avec cette décision ?

 

C.C.M. : Je ne suis pas d’accord pour qu’on reporte, mais je suis d’accord pour qu’on s’occupe des deux. Ce que je trouve extraordinaire c’est que le congé maternité existe depuis longtemps, c’est formidable, mais encore une fois toutes les femmes n’ont pas bénéficié de ce congé maternité. Quand une femme ne travaille pas , elle n’a pas de congé de maternité. Et si elle travaille avec son mari, c’est encore une autre histoire. Donc il importe de bien prendre en considération la diversité des situations pour les femmes. Et je trouve aussi que c’est fondamental aujourd’hui de considérer l’importance du congé paternité.

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M. : Et donc vous voyez ça comme une concurrence entre les deux, ou entre les trois en fait avec le congé parental ?

 

C.C.M. : Je pense que pour l’instant le congé de paternité n’est pas du tout présenté comme une priorité. Par contre, le congé de maternité est présenté comme une priorité dans la continuité notamment de tout ce qui concerne le droit des femmes. C’est fondamental. Mais il importe aussi de promouvoir le congé paternité . C’est fondamental aussi. Le congé parental c’est  autre chose. Mais politiquement parlant, il y a encore une hiérarchie qui est faite entre le congé maternité et le congé paternité et c’est vraiment dommage. On ne doit pas les mettre en concurrence. Les deux sont importants et fondamentaux.

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M. : La hiérarchie est justifiée selon vous ?

 

C.C.M. : Non. Pour moi, c’est les deux en même temps. Et si j’ai proposé la création d’un secrétariat pour aider les hommes en difficulté, c’est pour avoir en tête que oui, des hommes peuvent rencontrer des difficultés aujourd’hui. De même que la société a beaucoup aidé les femmes au 19ème siècle (l’Etat est beaucoup intervenu pour aider les femmes et c’est très bien, c’était fondamental), je trouve qu’il y a un manque de prise de conscience aujourd’hui concernant les difficultés que peuvent rencontrer des hommes. Il faut prendre acte de ces difficultés pour aller vers une paternité “bien assumée”. Et pour moi, c’est fondamental. Pourquoi ? Parce que c’est la qualité de l’éducation qui est en jeu.

 

M. : On a vu d’autres acteurs qui pensent que le congé paternité n’est pas forcément le levier le plus efficace et qui convoquent plutôt le congé parental, qu’est-ce que vous en pensez ?

 

C.C.M. : Le congé parental : je trouve que c’est un peu un leurre. C’est réservé à des catégories qui sont plutôt aisées. J’ai beaucoup aimé un article fait par Laura Merla, qui montrait que les congés parentaux pris par les hommes, obéissent à quatre  conditions : il faut que la femme ait un bon salaire, qu’il y ait une bonne communication entre l’homme et la femme, que l’homme ait envie de prendre du recul par rapport à sa vie professionnelle, et que l’homme accorde de l’importance à la valeur “famille”. On voit donc que c’est réservé à des “cas particuliers”. J’ai participé à une émission sur Europe 1, et il y avait un homme qui racontait qu’il avait pris un long congé parental il y a longtemps, c’était assez marginal à son époque, et j’ai trouvé génial qu’il dise “je l’ai mis sur mon CV”. Ce que j’ai trouvé génial c’est que c’était une manière de revaloriser, y compris au masculin bien sûr mais y compris vis-à-vis des femmes, ce que les femmes accomplissent tous les jours, ce qu’on appelle le travail invisible. Là c’était une manière de dire “regardez, ça représente quelque chose de savoir s’occuper d’enfants, d’une maisonnée, de tout ça, et pour moi c’est un plus d’un point de vue professionnel”, et j’ai trouvé ça super.

 

M. : Vous dites du congé parental que c’est un leurre ?

 

C.C.M. : Oui, c’est un leurre parce qu’il faut des conditions et il faudrait que ce soit bien rémunéré, ce qui n’est pas le cas.

 

M. : S’il était repensé pour être un peu plus accessible, notamment pour les hommes…

 

C.C.M. : Ce serait bien le congé parental repensé pour les hommes et aussi pour les femmes en étant bien rémunéré. Mais pour en revenir au congé de paternité, j’adore les entreprises qui paient un long congé de paternité  bien rémunéré et qui valorisent le fait que des hommes ont cette capacité à prendre le congé paternité alors qu’il y en a qui ne souhaitent pas ou qui ne peuvent pas le prendre. Par ailleurs, c’est minoritaire, mais il y a des hommes qui ont cette capacité à dire “je veux un 80% du temps, parce que je souhaite m’occuper de mes enfants et qui souhaitent travailler dans une entreprise où il n’y ait pas l’obligation du présentéisme, où les réunions importantes ne soient pas systématiquement le mercredi ou le soir.  Je souhaite vraiment que l’entreprise prenne en considération que « le travailleur est aussi un père”. J’avais fait un article dans Ouest France là dessus. Et par ailleurs, si l’Etat et les entreprises permettaient qu’il y ait de bonnes conditions pour que l’homme prenne un congé parental et pour que la femme prenne un congé parental si elle le souhaite : moi je suis pour.

 

Xintong : Est ce que vous pensez que les entreprises ont un rôle important à jouer vis à vis du congé paternité ?

 

C.C.M. : Oui ! Complètement. J’adore les entreprises qui accordent systématiquement du temps pour les pères. Ça s’appelle notamment la charte parentale des entreprises.

 

M. : Est ce que vous pensez qu’il existe une pression sociale exercée par les employeurs qui pourrait dissuader les hommes de prendre leur congé paternité ?

 

C.C.M. : Bien sûr. J’ai été frappée de voir à quel point il y avait des entreprises qui diffusaient l’information et présentaient ça de manière positive, et à quel point il y en avait d’autres qui, au contraire, présentaient ça de manière négative, un peu comme si l’homme qui s’implique dans sa famille était un glandeur.

 

M. : Dans ce cas vous pensez que l’Etat devrait inciter les entreprises à agir de la sorte ?

 

C.C.M. : Oui bien sûr, tout cela relève d’une culture qu’il faut absolument changer, notamment car cela permet aussi l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, c’est évident. Plus on va vers l’égalité, plus les hommes prennent leur place dans la sphère privée, plus on va vers une société démocratique, plus il y a une conception de l’éducation des enfants qui les interpellent en terme d’égalité. Pour l’avenir aussi, c’est très positif.

 

M. : On observe que certaines entreprises sont assez autonomes dans l’application du congé paternité, c’est à dire que dans leur entreprise ils vont au delà du minimum requis par l'État. Est ce que vous pensez que les entreprises doivent avoir cette autonomie ?

 

C.C.M. : Ce serait très bien que les entreprises soient fer de lance et trouvent une renommée positive grâce à cela. Mais dans tous les domaines c’est pareil, comme dans l’environnement, plus les entreprises mettent en avant l’importance des énergies renouvelables etc, plus cela peut aussi être une pub, un alibi. Il faut se méfier de  ça.

 

M. : Est-ce que vous pensez que le congé paternité peut être bénéfique pour l’entreprise au niveau de la performance des employés par exemple ?

 

C.C.M. : Pour moi c’est clair. Cela m’a beaucoup frappée du côté des jeunes chefs d’entreprise suisses par exemple. Pourquoi la Suisse ? Parce qu’ils avaient peut être un peu plus de moyens que les entreprises ici, je ne sais pas, mais ils me disaient “plus je sens que l’homme est heureux dans sa famille parce qu’il intervient dans sa famille comme il le souhaite, mieux c’est pour l’entreprise parce que je sens que le travailleur est heureux et cela diffuse autour de lui positivement.” Là où je suis optimiste, je pense qu’à l’avenir, il y aura plus de DRH, qui iront dans ce sens là. Mais il y a malheureusement aussi des hommes défensifs, nostalgiques des rôles traditionnels et qui véhiculent des images négatives sur la paternité impliquée en comparant les hommes à des mères bis, comme si les hommes n’avaient pas une identité de père pleine et entière.

 

M. : Est ce que vous pensez qu’en renforçant le congé paternité, on irait vers un processus de recrutement plus égalitaire ?

 

C.C.M. : Oui, bien sûr et je pense que ce serait génial.

 

M. : Vous nous avez dit que vous aimeriez qu’il y ait un temps où le père serait seul avec l’enfant. Cela veut-il dire qu’il faudrait que le congé maternité et paternité soient sur deux créneaux temporaires ?

 

C.C.M. : J’aimerais quand même qu’on laisse le choix. Je trouve que c’est quand même intéressant de faire de l’information sur le fait que l’impératif de la bonne mère pèse énormément sur les épaules des femmes aujourd’hui. C’est important que l’on mette en place des modalités qui montrent que la part du père est très importante aussi.

 

M. : Vous êtes donc plutôt pour laisser le libre choix aux familles donc ?

 

C.C.M. : Oui bien sûr, mais il faudrait accompagner ces modalités de campagnes d’information.

 

M. :  En ce moment, les 11 jours de congé paternité doivent être pris sur une période de 4 mois après la naissance de l’enfant, est ce que c’est quelque chose qui devraient changer selon vous ?

 

C.C.M. : J’aimerais bien que cela soit souple.

 

M. : Justement, nous avons rencontré des acteurs avec une vision de la paternité plus traditionnelle qui voudrait que le congé paternité puisse être pris à l’adolescence de l’enfant. Comment vous placez-vous par rapport à cela ?

 

C.C.M. : C’est une bonne question. Effectivement, c’est une bonne chose à l’adolescence mais ça ne serait pas l’un à la naissance ou l’autre à l'adolescence mais l’un et l’autre. L’adolescence fait peur, à juste titre, à tous les parents, mais je trouve que les neurosciences, les nouvelles pédagogies éducatives ouvrent de nouveaux horizons, permettent l’accès à la compréhension de la complexité de l’adolescent. Ce serait fondamental que les parents soient informés de ça et que l’Etat, le ministère de l’éducation etc, puissent intégrer que là encore, il faut de l’information, de la pédagogie et de la disponibilité du côté des parents pour accompagner ce passage de l’adolescence. Je suis pour un doublon du congé paternité.

Je suis horrifiée de constater à quel point la question de l’éducation est traitée avec une légèreté époustouflante alors que c’est l’avenir de la société. Le problème c’est que la société marchande, du profit, néglige cette question, car ce n’est pas immédiatement rentable.

 

 

M. :  Est-ce que vous mettriez un congé maternité en doublon à l’adolescence également ?

 

C.C.M. : Oui.

 

M. :  Comment vous placez-vous par rapport à la division de la nature du rôle des pères et des mères dans famille et par rapport aux enfants ?

 

C.C.M. : Je constate qu’il y a beaucoup d’angoisses éducatives du côté des parents. Les enfants souhaitent que leurs parents soient plus présents, plus impliqués. Le problème aujourd’hui, c’est donc la disponibilité des parents. Ce sont des choses fondamentales à prendre en considération et il faut faire en sorte que l’Etat et les entreprises permettent aux parents d'assumer leurs responsabilités, d’être présents, de pouvoir s’impliquer, être disponible aussi psychiquement .

Est-ce qu’il y a des rôles différents ? L’Histoire n’est pas la même pour les hommes et les femmes. Moi ce que je montre dans L’instinct Paternel qui va paraître en septembre, c’est que l’on a privé les hommes d’instinct paternel à l'échelle de l’Histoire, qu’il y a eu des changements fondamentaux avec le mouvement collectif des femmes des années 1970, avec le fait que la femme a obtenu des droits civiques et sociaux et qu’elle a pu se définir autrement que comme épouse et mère et ce dans le bon sens du terme pour les femmes. En pouvant se délester de cette référence obsolète à l’instinct maternel, à la société patriarcale. Mais avec la sortie du patriarcat, il y a des hommes qui sont très défensifs et qui pensent qu’on leur vole leur paternité, dans le sens d’autrefois. je trouve que c’est complètement ridicule. Mais l’on peut dire que la société n’accompagne pas assez le rôle du père. Je veux que la société accompagne le rôle de la mère, c’est évident, mais je veux qu’on accompagne aussi le rôle du père. Mais je n’ai pas envie de dire “un père c’est comme ça, une mère c’est comme ça”, non, ce sont des individualités.

 

 

M. : De ce que je comprends de votre vision, j’ai l’impression que ce qui devraient changer par rapport à la parentalité et la paternité en particulier c’est tout un système dans lequel la réforme du congé paternité ne serait qu’une mesure parmi d’autres, c’est bien cela ?

 

C.C.M. : Oui oui bien sûr.

 

M. : Est-ce que 11 jours c’est suffisant pour connaître et développer des liens avec un enfant ?

 

C.C.M. : Non bien sûr.

 

M. : Que pensez-vous de la notion, couramment utilisée, de “nouveaux pères” ?

 

C.C.M. : Je pense que ça va faire partie du sous-titre de mon livre chez Larousse à paraître  en septembre : À la suite de :« l’instinct paternel . Eloge des nouveaux pères”. Ce qui est intéressant c’est que quand j’ai commencé à travailler sur cette question des pères, en 1988, personne ne pensait que le phénomène des nouveaux pères allait durer. Et c’était fondamental de montrer que le phénomène des “papas poules » n’était pas un phénomène de mode, mais l’expression d’un changement majeur et que la société, les sciences sociales, la psychanalyse, devaient en prendre acte. Et de plus ce qui devient fondamental aujourd’hui, c’est que les êtres humains sachent s’occuper d’autres êtres humains. Dans une société qui va de plus en plus vers la technologie, où l’individu augmenté prend de plus en plus d’importance…les robots… il faut absolument que les hommes aussi aient des ressources pour développer des liens empathiques là où jusqu’à présent l’éducation des garçons les a empêchés de développer la fibre de l’empathie. .

 

M. : À l’heure actuelle, la rémunération est de 93.5% du salaire, parfois plus selon les entreprises. Est ce que cela est satisfaisant?

 

C.C.M. :  100% serait logique.  Mais dans le même temps, il faut lutter contre les différences de salaire qui existent entre les hommes et les femmes et les différences de carrière. .  

 

M. :  La revalorisation de la paternité pourrait-elle avoir un impact sur l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes ?

 

C.C.M. : J’aimerais bien ! Ça me paraît fondamental. C’est une base nécessaire à l’égalité salariale.

 

M. : Vous avez mentionné avoir travaillé avec des psychologues, avez-vous déjà étudié l’impact de la présence du père sur les enfants et notamment leur développement ?

 

C.C.M. : J’ai adoré la thèse d’une étudiante en sciences cognitives, j’en parle dans mon livre à paraître en septembre sur L’instinct paternel . Elle a filmé des pères à la maternité avec le nourrisson de 1 ou 2 jours. Personne d'autre que le père et l’enfant était présent. Elle les a filmés en laissant la caméra, pour voir comment cela se passait au niveau du regard, de l’échange vocal, des gestes. Elle a vu à quel point il y avait des comportements différents (le regard, la voix…) mais surtout à quel point il y avait de l’interaction. L’enfant fait le père.

 

M. : Est-ce que vous pensez que les femmes sont stigmatisées en prenant un congé maternité ou simplement par le fait d’être mère ?

 

C.C.M. : Les femmes souffrent beaucoup de la maternité sous l’angle professionnel, bien évidemment. Si les hommes intervenaient à ce moment là, cela permettrait à la femme de ne pas perdre entre guillemets, des acquis professionnels et d’être moins pénalisée dans sa carrière. Elle est amputée par le congé maternité, même si ça depend des professions. Et l’impératif de la bonne mère qui est très fort interfère sur ses aspirations professionnelles, sur le déroulement de sa carrière.

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M. :  Le congé paternité pourrait contrebalancer ce phénomène ?

 

C.C.M. : Oui bien sûr.

 

M. : Pensez-vous que le congé paternité aura un effet sur la répartition des tâches domestiques et non uniquement parentales ?

 

C.C.M. : Oui bien sûr. Et déjà je trouve très intéressant, que les jeunes hommes apprennent à s’assumer, à se prendre en charge seuls (linge, nourriture…) durant leur période de célibat… Il y a une nouvelle fierté de l’homme à savoir s’assumer. Et bien évidemment c’est fondamental que l’homme sache prendre en charge ses besoins et ceux des enfants, du ménage, du foyer… Avec le travail des femmes , la culture égalitaire, l’allongement du congé de paternité est fondamental et ça a des incidences importantes sur la répartition plus égalitaire des tâches. On peut tendre vers ce que j’appelle « la démocratie de l’intime » et je développe des exemples qui vont dans ce sens, dans un des ouvrages que j’ai écrit : Le ménage : la fée, la sorcière et l’homme nouveau, aux éditions Stock. On tend aujourd’hui vers ce que j’appelle « la mobilité des identités », dans une société où on peut commencer à se représenter les rapports homme/femme à égalité, à condition de s’émanciper des rôles clivés, imposés, genrés et des institutions traditionnelles…

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M. : Le budget a une place très importante dans ces questions de réforme, est-ce que vous pensez qu’un allongement à 3 ou 4 mois est possible ?

 

C.C.M. : C’est une histoire de priorité. Ne pas prendre cette question là en considération, c’est faire la part belle à une société fondée sur la logique du profit, de la performance, de la compétition et qui se soucie peu de l’humain. Je pense que dans l’avenir, ce sera nécessaire de se préoccuper davantage de l’humain, d’autant plus que nous allons vers une société où les inégalités augmentent.

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M. :  La DREES montre que les jeunes sont plus favorable à un congé paternité plus long, qu’est ce que vous en pensez ?

 

C.C.M. : Oui bien sûr, c’est fondamental d’augmenter le congé de paternité . Et on assiste à une transformation dans la hiérarchie des valeurs avec une volonté de combiner au mieux travail et famille et de ne pas sacrifier la famille au travail, comme le faisaient les générations précédentes.

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